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Albert Dupontel

Vous avez lu le roman avant de lire le scénario ?
Non. Et je ne l’ai même pas lu après. En fait j’aurais fait quelque chose de plus particulier par rapport à la partie en Irlande qui n’existait pas. C’est certainement la partie la plus personnelle de Jean qui parle de la pêche à la mouche, il en fait beaucoup. Il parle de son père : il en parle beaucoup dans la vie. Il faisait de la pêche à la mouche avec son père, donc les indices sont récurrents. Et on retrouve toute une partie du cinéma de Jean : la truite, les chiens, les poneys, la nature. Il fait un démarrage un peu à la Sautet qui dérape pour terminer dans un Becker qui se rétablie. C’est pour ça que j’ai lu le scénario comme un objet à part, et j’ai rencontré le metteur en scène (l’auteur ??!!) qui m’a raconté un peu la genèse de sa souffrance. Il joue dans le film d’ailleurs, il joue un des publicitaires.

Je me suis fait piégé par le scénario. Et les émotions du personnage je les comprenais très bien. C’était la clé au départ. Si vous comprenez votre bonhomme et que vous l’aimez bien, quoiqu’il arrive sur le plateau, vous allez être bien avec lui pendant deux mois. C’est important. C’est le minimum. Si vous l’aimez pas, c’est pas la peine d’aller plus loin. Dans tout ce qu’il disait, à quelques détails prêts, je comprenais très bien la colère, la tendresse et la tentative élégante de sortie de ce personnage. Ca me parlait beaucoup. Pourtant c’était à un moment où je voulais faire une pause. Je venais de beaucoup tourner. J’avais dit à mon agent qu’en 2007 je ne ferais plus rien. Il est venu me voir pendant que je tournais « les nuits intimes », m’a donné un scénario en me disant qu’il fallait que je le lise. J’ai fait deux films cette année qui sont deux jolis films : Paris et Deux jours à tuer. Deux metteurs en scène que j’estime beaucoup, avec qui j’étais en phase. J’ai essayé d’être l’acteur que j’aimerais qu’on soit avec moi : le plus disponible, le plus inventif et le plus énergique possible, tout en sachant qu’à la fin c’est le metteur en scène qui aura le dernier mot.

Je n’ai pas de jugement sur le personnage. Je me concentre beaucoup sur ce qu’il dit. On fait des prises on finit par s’oublier et c’est dans ces moment d’oublis qu’on est le personnage, que la caméra prend ce qui vous échappe. Si je me dis que je vais « dire des choses », c’est foutu, on a été au dessus ou à côté du personnage, c’est raté. Autant quand je fais des choses à moi, oui, je raconte des choses et j’essaye d’être une marionnette vecteur du propos que je vais tenir, autant là, j’essaye d’être disponible.
J’ai toujours aimé Michel Simon. Par exemple, dans La beauté du diable, le jeu de Gérard Philippe est désuet aujourd’hui et celui de Michel Simon est très moderne car il se laisse envahir par le personnage. Il joue pas, il est très sincère. C’est cette sincérité qui lui permet d’interpréter les pires personnages, même des monstres, comme dans le quai des brumes. Il faut avoir la disponibilité de se laisser imbiber de ça, y compris quand le personnage transbahute des valeurs négatives, comme au début du film, où si on fait pas gaffe, on peut le trouver très antipathique. J’ai pas de pudeur par rapport à ça. Je me fous de ce qu’on pourrait penser du personnage. Je me lance dedans car j’ai de l’estime pour le metteur en scène et le projet. Y a des fois où l’estime on la regrette et où en cours de route on se dit qu’on s’est trompé. Cà m’est arrivé sur 2 ou 3 films. Du coup, on fait mal. On subit les indications plus qu’on les sollicite. Sur Deux jours à tuer, plus le tournage avançait, plus ce que me disait Jean me parlait, me nourrissait. J’étais entièrement d’accord. Pareil pour Paris de Klaplish. On a fait beaucoup d’impro en répétition. Toutes mes impros, je les ai retrouvées dans le texte après. Quand vous sentez cette confiance là, cette considération de la part du metteur en scène, vous êtes forcément très emporté. Il vous regarde, il vous écoute ! Dans Deux jours à tuer, il y a des choses qui sont venues naturellement et qu’il a gardé au montage. Ca crée une complicité.
Dans mes films, tout ce que j’écris est très détaillé, puis je m’enferme avec mes acteurs pendant quinze jours et on répète. Notamment dans le dernier, avec Yolande Morreau, beaucoup de choses sont venues d’elle. Des choses qu’elle a trouvé en répétition sur mes indications. Fallait juste que je trouve sur quel bouton appuyer.

Vous envisagez de remonter un jour sur scène ?
La scène, j’en ai fait il y a 15 ans. J’aime bien la caméra. Mais mon spectacle a influencé beaucoup de gens. J’ai pas la télé, mais des fois je tombe sur des morceaux entiers d’idées (…), ils revisitent le truc. J’avais 26 ans quand je faisais le spectacle tous les soirs. Je sais pas si je pourrais le refaire aujourd’hui. Si je le refaisais, je ferais vraiment autre chose je pense. Un truc beaucoup plus absurde, beaucoup moins connecté dans la réalité. J’ai des sketchs que j’ai jamais joué. Je les ai retrouvés l’autre fois en rangeant chez moi. Je les jouerai peut être un soir, dans un petit théâtre en rase campagne, devant 50 personnes, mais pas dans quelque chose de médiatique, car ça devient un système. Le one man show, c’est une forme d’expression qui est très populaire. C’est à la fois pratique et pas pratique. Pratique car vous vous présentez devant les gens dans leur salon par le biais de la télé comme un comique. Même si vous êtes pas forcément drôle, vous vous dites « je suis drôle, je suis drôle, je suis drôle ». Le mec qui achète sa place, il rigole déjà. Il y a un conditionnement que personnellement je n’apprécie pas. En tant qu’acteur ou metteur en scène, on prend des risques. Des fois c’est drôle, des fois ça ne l’est pas. La fin de Bernie est délibérément pas drôle.
L’argent de mon spectacle avait servis à faire mon premier court métrage, Désiré, qui était une carte de visite pour faire Bernie. J’ai eu des moments difficiles. Entre le créateur et Enfermé dehors, il s’est passé 5 ans, et il ne m’est jamais effleuré l’idée d’aller refaire des spectacles, mais en tout cas de refaire (ce que j’appelle) des comédies, oui.
C’est assez jubilatoire de faire des choses pour lesquelles on m’attend pas. Même sur ce film là ! Les gens ont peur. Ils se disent qu’à la fin je vais tuer tout le monde, même si les indices montrent que c’est pas si simple.

Parlez nous de Jean Becker ?
Jean, à la cantine, il emmène son camembert spécial, son vin, etc.. Si vous comprenez ça chez le personnage, vous comprenez le film qu’il va faire. Plus je m’approchais de lui, plus je m’imbibais de ce qu’il était. Ca me paressait en adéquation parfaite avec le film qu’il était entrain de faire. Il m’a fait manger du camembert dans un champ. Il m’a fait me baigner en Irlande, mais il a coupé la scène. Il m’a fait affronter un taureau, mais il a coupé aussi. Tout ce côté trivial de la vie, il l’a vraiment en lui. Il a pas une ambition de vie énorme. Cette joie simple d’exister, il la traduit très bien dans ses films.
Un des films de Jean qui m’a le plus marqué quand j’étais adolescent, c’été L’été meurtrier. Plus récemment, j’avais vu Les enfants du marais avec mes parents, que j’avais bien aimé. Bizarrement, je trouve que le cinéma de Jean est très sensuel, mais pas sensuel au sens érotique, mais sensuel parce qu’on entend les insectes qui bourdonnent, le feu qui crépite, un cheval, une cloche, le bruit de l’eau ; on voit la brume qui se lève, les truites… Même dans l’été meurtrier, la chaleur qu’on sent sans arrêt dans ce village, etc… Dans Deux jours à tuer, il est parti sur une même veine : un drame personnel et non pas narratif.

On parle beaucoup de pêche dans ce film. Vous aimez pécher ?
J’ai appris pour ce film. J’ai vécu l’enfer avec un maniaque de la pêche à la mouche. Il y a la mouche de début mai, de fin avril, de mi mai, du 4 mai, etc… (rire)… Pendant un mois, j’ai péché sur ma pelouse. Ca faisait beaucoup rigoler mon fils.

Vous préférez être acteur ou bien faire vos propres films ?
Je m’amuse beaucoup en tant qu’acteur. En tant que fabricant de film, à défaut d’auteur, j’ai la chance d’aller les autres pour « évacuer » beaucoup de choses que je pourrais pas évacuer tout seul. Tout seul, je suis dans une prison mentale dans laquelle je retombe à chaque fois. Au bout d’un moment, en face à face avec soi même, j’en ai marre, il faut que j’évacue. Il y en a qui vont faire autre chose, faire un documentaire, ou bien arrêter, pour ma part je fais l’acteur et ça me fait beaucoup de bien. C’est une façon de me fuir.

Vos projets ?
Depuis un an je travaille à mon prochain film dans lequel je jouerai, peut être avec Catherine Frot d’ailleurs, qui jouerait le rôle de ma mère. On fait des essais, des tests qui sont assez spectaculaires. Cà intéresse Catherine, mais il faut qu’elle accepte cette vision.
On a fait lire le scénario en cachant mon nom pour avoir de vrais avis de lecteurs. Plusieurs fois des mecs ont dit que ça leur faisait penser à du Dupontel. C’est le meilleur compliment qu’on puisse me faire ! Qu’on aime ou qu’on aime pas, au moins je suis pas allé chercher à droite et à gauche des choses qui auraient pu marcher.
C’est un film qui est très ludique. C’est l’histoire d’un sale gosse qui revient contraint et forcé chez sa mère qu’il a toujours pris pour une vieille couleuvre. Il va être très surpris de voir que c’est pas si simple. C’est à la fois très cruel au début, en apparence, mais à la fin il se fait piéger lui aussi. C’est la première fois dans un de mes films qu’il y aura deux personnages équivalents, qui vont s’affronter. Ca a également un côté fantastique, car la grand mère a un problème : elle ne peut pas mourir. Elle a des accidents ménagers terribles, elle se casse la gueule violemment, et elle n’a rien. Elle regarde le ciel avec beaucoup de reproches. Comme elle est croyant elle dit qu’elle veut bien rester sur Terre, mais pas si elle est punie. Elle est très angoissée à l’idée qu’elle soit issue d’une malédiction. C’est ce que j’appelle une comédie.

Interview réalisée lors des rencontres du cinéma de Gerardmer 2008